L’apprentissage par le jeu fera-t-il un jeu de l’apprentissage ?
I/ L’apprentissage par le jeu, c’est sérieux !
L’école aujourd’hui a pour souci d’augmenter artificiellement et techniquement la capacité des enfants à la normalité et à l’employabilité. Il faut, en effet, reconnaître que l’école n’a pas été épargnée par le souci de la recherche utilitariste de l’efficacité. C’est pour cette raison, d’ailleurs, que l’école devient un lieu artificiel en totale rupture avec l’univers des enfants et en particulier avec celui de l’apprentissage ludique moyennant le jeu. Force est de constater que l’école moderne, en dépit de son allure ouverte et décomplexée, demeure trop sérieuse et oublie toute la richesse pédagogique que peut lui apporter le jeu.
Toutefois, sous la pression, de la nouvelle pédagogie et de la place qu’occupent les jeux classiques et électroniques dans la vie et la formation des jeunes générations, l’école commence sérieusement à repenser les conditions d’une meilleure exploitation de cette prédisposition naturelle à l’apprentissage. Ce champ est donc à réinventer et à redécouvrir. En tout cas, ce défi constitue pour nous au sein du Groupe ELBILIA-Léon L’africain un chantier que nous sommes en train de repenser pour lui donner une nouvelle dynamique et fonder les conditions réelles de l’émergence d’une véritable didactique de l’apprentissage par le jeu.
D’emblée il faut rappeler que l’apprentissage par le jeu est une pratique pédagogique conventionnelle prescrite explicitement par les BO successifs émis par les instances du ministère français de l’éducation depuis 2002. Il s’ensuit donc que le bien-fondé de la pratique n’est plus à établir ou à défendre. Il faudrait plutôt penser l’intérêt de la démarche, interroger sa validité, sa soutenabilité et mesurer l’efficience de sa rentabilité pédagogique.
II/ Le jeu précède l’apprentissage et la pédagogie
Le jeu est un réflexe naturel chez l’homme et lui procure un modèle d’apprentissage et de développement vivant et efficace. L’éthologie nous apprend que le jeu est un instinct primaire que déploie naturellement le petit de l’homme, à l’instar de tous les bébés des mammifères, pour découvrir le monde et apprendre les compétences nécessaires pour l’habiter et s’y développer. C’est en effet par le truchement du jeu que le bébé humain médiatise son rapport à lui-même, aux choses et aux autres. Le nourrisson commence par son propre corps et celui de sa mère en les investissant de la fonction ludique, puis, il s’étend progressivement vers d’autres éléments de son environnement pour les transformer en objets d’interactions ludiques.
En jouant, l’enfant apprend en utilisant son corps. Il déploie une méthode sensitive et empirique qui lui permet d’observer, de tester, d’expérimenter et de déduire. Par conséquent, il retient de ce processus des messages, des connaissances et des attitudes validés par le réel. Force est de constater que le premier modèle que l’enfant utilise pour apprendre est fondé sur l’autonomie, l’observation, l’investigation, l’expérimentation et la validation empirique.
L’efficience de ce processus naturel est accrue par l’effet bénéfique du plaisir consécutif à toute séquence ludique qui vient presque toujours récompenser et gratifier l’effort consenti par l’enfant. D’ailleurs dans le jeu, l’enfant apprend que ce n’est pas la réussite qui compte, mais le processus et le cheminement. En effet, nombreuses sont les tentatives ludiques qui n’aboutissent pas, nombreux sont les gestes ou les combinaisons qui échouent. Dans ces situations l’enfant, ne renonce pas ; il revient à la charge, tente autre chose, corrige la procédure, apprend de ses erreurs et développe ainsi le recul critique par rapport à ce qu’il entreprend et comprend également le principe de réalité qui se manifeste dans la résistance du monde et des choses à ses désirs ou à ses plans.
Sur la base de ce qui précède, il s’avère certain que le jeu constitue un modèle naturel d’apprentissage que l’école doit savoir exploiter et intégrer dans ses démarches pour faire en sorte que l’école soit le prolongement naturel du travail de construction que l’enfant fait de lui-même et de son rapport avec le monde et les autres par la pratique ludique. En somme, l’enfant est un pédagogue né, il sait d’instinct comment apprendre et éprouve déjà de l’enchantement devant le connaissable qui l’émerveille et l’étonne par son étrangeté et son potentiel de plaisir et d’enrichissement.
III/ La pédagogie est sérieuse quand elle est joueuse :
Quand Socrate enseigne, il le fait dans la joie et la bonne humeur, dans tous les lieux et les situations et en utilisant les moyens et les objets que lui offre le moment présent. La forme qu’il retient pour l’animation de l’activité d’apprentissage est le dialogue où le disciple est traité comme partenaire.
Le dialogue permet de théâtraliser l’acte d’enseigner en le transformant en une représentation et un jeu de rôles dans lequel chaque participant est invité à éprouver concrètement, par tout son corps et l’ensemble de ses sens, la méthode suivie dans la recherche de la compréhension et la justesse ou la véracité des découvertes qu’elle rend effectives.
La séquence du dialogue socratique est par ailleurs savamment ponctuée de moments où il s’agit de jouer à imaginer des récits fictifs mythiques ou légendaires qui viennent illustrer le propos et aider les interlocuteurs à mieux visualiser les concepts et les abstractions étudiés. Du reste, quand le sujet et les conditions l’autorisent, Socrate n’hésite pas à proposer à ses partenaires des cas pratiques, des sujets d’application en les mettant en situation ou en leur offrant l’opportunité d’apprendre en s’amusant. Dans le dialogue, le maître lui-même ne se prive pas des vertus pédagogiques et didactiques du jeu, l’ironie socratique en est le meilleur exemple. En effet, Socrate fait toujours semblant au début d’être d’accord avec son interlocuteur et valorise ses réponses pour le mettre en confiance et libérer sa parole. Socrate fait appel à cette méthode parce qu’il sait que pour pouvoir enseigner quelque chose de neuf à une personne, il faut que le maître commence par enquêter sur ce qu’il sait déjà et puis ajuster en fonction de cette première évaluation l’action à construire : conforter le savoir ou le corriger.
En définitive force est de constater que la méthode socratique est féconde car elle nous apprend que l’objectif premier du pédagogue n’est pas de faire du jeu un outil didactique, mais de travailler à transformer toute l’activité d’apprentissage en jeu. La tradition de ce grand pédagogue de l’antiquité nous enseigne ainsi la nécessité pour l’école moderne de renouer avec les vertus didactiques de l’approche ludique qui a le pouvoir de faire de l’acte d’enseigner et de celui d’apprendre d’authentiques moments de plaisir, d’échanges de collaboration et d’humanité.